Les contrats de remplacement et les demandes de dérogation qui parviennent au Conseil départemental font apparaitre un décalage croissant entre le code de déontologie et les usages des praticiens installés.
D’abord un petit rappel sur les textes actuellement en vigueur. Les conditions pour faire appel à un remplaçant sont définies par l’article 65 du code de déontologie médicale (article R.4127-65 du code de la santé publique)
Un médecin ne peut se faire remplacer dans son exercice que temporairement et par un confrère inscrit au tableau de l'ordre ou par un étudiant remplissant les conditions prévues par l'article L.4131-2 du code de la santé publique.
Le médecin qui se fait remplacer doit en informer préalablement, sauf urgence, le conseil de l'ordre dont il relève en indiquant les nom et qualité du remplaçant ainsi que les dates et la durée du remplacement.
Le remplacement est personnel.
Le médecin remplacé doit cesser toute activité médicale libérale pendant la durée du remplacement.
Toutefois, des dérogations à cette règle peuvent être accordées par le conseil départemental, dans l'intérêt de la population lorsqu'il constate une carence ou une insuffisance de l'offre de soins.
Auquel s’ajoute l’article 89 (article R.4127-89 du code de la santé publique)
Il est interdit à un médecin de faire gérer son cabinet par un confrère.
Toutefois, le conseil départemental peut autoriser, pendant une période de trois mois, éventuellement renouvelable une fois, la tenue par un médecin du cabinet d'un confrère décédé ou empêché pour des raisons de santé sérieuses de poursuivre son activité.
Dans la pratique, les médecins installés se font remplacer pour différentes raisons et pour des durées plus ou moins longues.
Le remplacement temporaire d’un confrère par un autre pour des congés annuels, raisons de santé au sens large, congés de maternité ou paternité, formation, etc...liste non exhaustive, est parfaitement conforme au code de déontologie.
Ainsi des médecins remplaçants interviennent régulièrement dans un cabinet médical pour remplacer les mêmes médecins installés pour l’un ou l’autre de ces motifs, en parfaite conformité avec le code de déontologie.
La situation est différente pour les confrères qui font appel à des médecins pour les remplacer régulièrement, le plus souvent pour les suppléer sur leur jour de congé afin d’absorber une patientèle toujours en augmentation, leur permettant d’accepter une demande croissante sans sombrer dans le surmenage professionnel. C’est pourquoi notre conseil avait choisi de longue date d’enregistrer sans autre commentaire les remplacements « fixes » jusqu’à 3 demi-journées par semaine.
Mais une nouvelle situation est apparue : De plus en plus de confrères souhaitent limiter le temps de leur exercice professionnel et font appel à des remplaçants réguliers pour 2, voir 3 jours hebdomadaires. Ici se pose la question du recours au remplaçant pour une forme de gérance de cabinet. Le statut adapté pour ce type de situation est en effet celui de collaborateur libéral. Or, en pratique, nos confrères se heurtent au refus d’engagement à long terme de nos jeunes confrères…
Pour approfondir la réflexion, nous sommes obligés de constater le nombre de médecins inscrits au tableau du conseil en tant que remplaçants est limité.
Deux chiffres du CDM44 (Aout 2024): 453 remplaçants (toutes spécialités) inscrits au tableau et 363 étudiants en médecine avec une licence de remplacement.
Si un nombre important de ces médecins remplaçants se consacre exclusivement aux « remplacements réguliers », il reste mathématiquement moins de remplaçants disponibles pour une activité ponctuelle afin de suppléer un médecin malade, des congés formation, congés annuels, etc...
Historiquement, le remplacement a toujours été une prolongation ultime de la période de formation post thèse en attendant une installation future.
Mais au fil des ans, est apparue une professionnalisation du remplacement comme mode d’exercice privilégié par certains confrères, avec pour volonté de ne pas s’installer…
Ceci pour plusieurs raisons : la crainte de se fixer, le recul devant l’engagement que représente une installation ou même une collaboration vis-à-vis des patients, des confrères, le recul devant les difficultés de l’exercice médical. En outre de plus en plus de jeunes médecins expriment dès le début de leur carrière l’idée qu’« ils ne feront pas ce métier toute leur vie ». Auxquels s’ajoutent un désir de mobilité, mais aussi des causes familiales avec un conjoint lui-même en mobilité, la volonté de travailler sur un temps partiel et choisi, ou au final pour certains, avoir mal vécu une installation antérieure et vouloir retrouver un sentiment de liberté.
Notre profession n’est pas la seule à observer ce choix puisque nombre d’infirmières préfèrent enchainer des CDD à leur convenance pour bénéficier de congés quand elles le souhaitent. Elles ont vite compris qu’il n’y avait rien de pire que se faire rappeler sur son lieu de vacances.....
Pour le conseil départemental une réflexion s’impose devant les demandes de nos confrères.
Les options sont les suivantes:
1- Application stricte des articles 65 et 89 du code de déontologie et autorisation uniquement des dérogations dans le cadre contraint prévu par la loi. Déjà obsolète puisque le CDM 44 a décidé depuis de nombreuses années la possibilité de remplacements fixes d’au max 3 demi-journées/ semaine sans dérogation spécifique.
2- Application avec souplesse de la dérogation de l’article 65 pour faire face à la carence de l’offre de soins dans le département tout entier, en considérant que tout renfort où qu’il soit est une mesure destinée à améliorer l’offre de soins. C’est ce que nous faisons en pratique, avec recours à l’avis du bureau ou de la plénière pour des situations particulières (absence de longue durée à l’étranger, par ex)
3- Application de dérogations prévue à l’article 65 dans un cadre restreint, au cas par cas étudié sur dossier présenté en séance plénière avec engagement des parties à une limitation dans le temps et l’espace voire en enrichissant une clause de non réinstallation. ???
Le conseil départemental a débattu de ces différentes situations en séance plénière le 9/1/2025 et décidé :
Concernant les remplacements « fixes » de plus de 3 demi-journées par semaine, de cesser de faire un rappel aux articles 65 et 89 du code de déontologie, considérant que la primauté devait être donnée à l’équilibre « vie personnelle- travail » afin d’éviter l’épuisement professionnel et favoriser la poursuite de l’activité de nos confrères. Par contre l’accent sera mis sur la nécessité absolue que le remplaçant utilise sa propre carte CPS, et non celle du médecin remplacé, sauf à risquer de voir ce remplacement « fixe » requalifié en salariat déguisé par l’URSSAF, ou que les reversements ne soient être assujettis à la TVA comme le prévoit le code des impôts…
Concernant les remplacements pour des absences de longue durée de médecins installés, notre bureau a interrogé le Conseil National. Celui-ci nous laisse décider d’accorder des dérogations à l’article 65 chaque fois que le maintien de l’offre de soins le justifie. Pour ces cas nous nous proposons de recevoir le confrère qui envisage une absence de 6 à 12 mois afin d’étudier avec lui les solutions lui permettant de réaliser son projet tout en assurant la prise en charge de sa patientèle durant son absence. Si l’option d’un remplacement de longue durée est retenue, les obligations concernant la carte CPS du remplaçant s’appliquent également.
Nous vous joignons ces deux articles avec leurs commentaires ci dessous.